Face au courant : Solutions concrètes contre l’érosion de l’estuaire de la Gironde

17/06/2025

Érosion, un combat ancien mais une urgence nouvelle

Longtemps, l’érosion fut vue comme un destin inévitable du fleuve. Mais la fréquence des événements extrêmes, la montée du niveau de la mer, l’intensification du trafic fluvial et des prélèvements de granulats ont aggravé la situation. Selon l’Observatoire de l’Estuaire de la Gironde, sur certains secteurs, plus d’un mètre de berge disparait chaque année (Préfecture de la Gironde, 2018). L’île Nouvelle, longtemps exploitée pour ses cultures, a vu la mer reprendre ses terres lors des grandes tempêtes de 1999 et 2010. À Vitrezay, des hectares de marais sont régulièrement gagnés par l’eau saumâtre. L’alerte est ancienne, mais l’érosion ne se combat plus qu’avec des digues. Le temps est à l’innovation, aux solutions locales, souvent appuyées sur le génie des plantes, le savoir des habitants, la complémentarité entre actions douces et aménagements ciblés.

Des digues et des souvenirs : limites des protections dures

Jusqu’au début des années 2000, la réponse à l’érosion était presque toujours minérale. Palplanches, blocs de béton et digues de protection jalonnent encore les rives, surtout près des bourgs menacés. Mais ces ouvrages ont montré leurs limites :

  • Coût élevé d’entretien, surtout après les crues et tempêtes hivernales (tempête Xynthia, 2010).
  • Effet de report, avec une érosion accentuée en aval ou latéralement aux ouvrages (Agence de l’eau Adour-Garonne).
  • Perte de biodiversité : la faune des vasières et marais, essentielle pour les migrateurs, trouve moins de milieux adaptés.

Entre 2013 et 2018, sur la rive droite, plusieurs kilomètres de digues endommagées ont été remplacés par des solutions dites « douces », ou même simplement abandonnés pour laisser place à des dynamiques naturelles mieux comprises. Un chiffre marquant : la maintenance annuelle des protections dures représente jusqu’à 200 000 € par commune dans les secteurs les plus exposés (SMEAG, 2018).

Le génie végétal au service des rives 

Depuis une dizaine d’années, le génie végétal a le vent en poupe autour de l’estuaire. Cette technique, inspirée du fonctionnement naturel des berges, s’appuie sur la plantation ou la gestion de végétaux adaptés pour retenir la terre. Plusieurs expériences sont menées sur les deux rives, à l’initiative du Syndicat mixte d’étude et d’aménagement de la Garonne (SMEAG), des collectivités et de certains propriétaires agricoles.

Techniques utilisées

  • Plantation de saules, de peupliers noirs locaux et d’aulnes pour former des réseaux de racines denses.
  • Pieux vivants : branches de saules fichées en terre, qui prennent racine et stabilisent la berge.
  • Fascines : fagots de branches tressées pour ralentir l’écoulement de l’eau et piéger les sédiments.
  • Poses de coco ou de toile biodégradable, ensemencées en roseaux.

Les résultats sont encourageants : par exemple, une opération menée sur la commune de Blaye a permis de réduire localement le recul de la berge de 80 % sur 4 ans (eaufrance.fr). Le génie végétal s’accompagne d’un suivi précis : il faut parfois replanter, ajuster, tenir compte du bétail, du passage des promeneurs, et composer avec la salinité changeante.

L’enjeu du choix des essences

Toutes les plantes ne sont pas égales face au sel. Sur l’estuaire, les espèces autochtones supportant la salinité, le vent et la submersion sont privilégiées : le roseau commun (), le saulnier, et les joncs. Leur enracinement contribue aussi à l’abri de multiples espèces : hérons, marouettes, couleuvres, insectes aquatiques. Un exemple : la restauration de 3 ha de roselières sur l’île d’Arcins, pilier de la biodiversité locale (source : SMEAG).

Restaurer les marais : la nature comme alliée

Le rôle des marais et anciens polders, longtemps sous-estimé, est aujourd’hui central dans l’équation. Ces zones humides agissent comme éponges, absorbant les crues et freinant l’avancée de l’eau salée.

  • Programme « Réensauvagement » de l’île Nouvelle : ouverture contrôlée des digues pour redonner place aux vasières et laisser la sédimentation se refaire naturellement (Gironde.fr).
  • Conservation et reconquête de 2600 ha de zones humides sur la rive droite depuis 2005.
  • Gestion différenciée : limiter la fauche, rétablir l’inondabilité, réduire le drainage agricole excessif.

Le Parc naturel régional du Médoc et celui du Marais poitevin travaillent désormais main dans la main sur ces sujets, car restaurer le fonctionnement hydraulique naturel permet aussi de limiter la force des vagues lors des tempêtes. Cela protège les villages, tout en renforçant les services locaux (élevage extensif, pêche, tourisme nature).

Techniques douces et solutions innovantes mises en œuvre localement

Récifs de coquilles et brise-vagues naturels

Dans l’estuaire, la technique des récifs d’huîtres et de coquillages s’expérimente à petite échelle, notamment autour de Bourg et dans certains ports ostréicoles. Les bancs de coquilles disposés en cordons ralentissent le ressac, favorisent la dépose de sédiments et servent de refuge à la faune. L’Ifremer a documenté un recul de l’érosion de 18 à 36 % selon la configuration du site (Ifremer).

Brise-lames végétalisés

Entre Saint-Seurin-de-Cursac et Pauillac, on voit apparaître des alignements de troncs morts, parfois issus de l’entretien des forêts alluviales, calés perpendiculairement au courant et plantés de végétaux. Une façon de ménager des havres, où la berge peut se reconstituer lentement. Les habitants, lors d’ateliers, participent à leur construction, renouant ainsi avec un sens du faire ensemble.

Gestion adaptative, observation fine

L’époque n’est plus à l’uniformité. Des groupes locaux, comme les associations de chasseurs de gibier d’eau ou de pêcheurs, transmettent leur expertise de terrain. Certains secteurs sont stabilisés, d’autres, face à l’inexorable, sont accompagnés vers une "retrait du trait de côte", permettant parfois la création de nouveaux habitats pour les oiseaux (à l’extrémité sud de l’île Paté, niche de sternes depuis 2016). Cela suppose un suivi continu : relevés, cartographies annuelles, observations participatives…

L’innovation locale portée par les habitants

Un autre levier de l’action locale, c’est l’implication directe des riverains :

  • Initiatives de “plantations citoyennes” sur les berges, comme à Saint-Vivien-de-Blaye ;;
  • Patrouilles bénévoles pour signaler les premiers départs de talus ou chutes de cabanes avant les tempêtes;
  • Valorisation de savoir-faire anciens, tels que la pose de fascines en osier selon les méthodes des anciens éleveurs ou ostréiculteurs.

Dans certains villages, érosion et mémoire des lieux s’entrelacent : la perte de terres, c’est aussi l’effacement de repères aimés : une digue, un arbre, la bordure d’un port. D’où l’importance de rendre visibles les expérimentations, de les partager, et d’accompagner les choix du terrain.

Pistes en réflexion : science et participation

L’avenir de la lutte contre l’érosion sur l’estuaire se dessine dans le dialogue entre science et savoir local. Plusieurs programmes pilotes s’affinent :

  • Cartographie participative à l’aide de drones, portée par le SMEAG et des chercheurs de Bordeaux-Montaigne.
  • Projets de restauration sédimentaire assistée, avec ré-immersion contrôlée de sables de dragage par périodes, pour compenser localement les pertes, testés autour de l’île Verte et de Saint-Estèphe (Mediester).
  • Études sur l’impact des activités humaines (navigation, extraction, urbanisation) et leur coordination avec les impératifs écologiques et économiques.

Important aussi, la prise en compte du changement climatique : la montée du niveau marin, estimée entre 20 et 80 cm d’ici 2100 sur la façade Atlantique, bouleverse déjà les équilibres (Haut Conseil pour le Climat).

Quand la vigilance devient culture partagée

Dans ce paysage tissé d’eau et de mémoire, les solutions pour limiter l’érosion dans l’estuaire de la Gironde ne relèvent plus du geste d’un seul. Elles naissent dans l’attention portée aux marais, aux racines, au geste du voisin qui refait la berge d’une main, plante un saule de l’autre. Les dynamiques de l’eau, ici, cassent l’illusion des réponses figées : chaque rive, chaque village invente, ajuste, observe, anime.

Entre génie végétal, restauration des marais, innovations citoyennes et regards scientifiques, c’est tout un monde vivant qui s’active. À qui prend le temps de regarder, l’estuaire livre la plus belle des leçons : soigner la marge, écouter le courant, apprendre de la diversité des solutions, et préparer doucement demain, sans jamais perdre la mémoire du passé.

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