Les rivages en mouvement : comprendre les dangers de l’érosion et de la montée des eaux

05/09/2025

Pourquoi les estuaires sont-ils si exposés ?

Les estuaires tiennent du vivant en équilibre : zones de transition, brassées par les marées et l’action humaine. Leur géographie même — formée de vasières, de falaises tendres, d’îlots plats — les rend sensibles aux moindres variations du climat. L’estuaire de la Gironde n’y échappe pas. Avec ses 75 kilomètres de long, plus vaste estuaire d’Europe occidentale, il recueille les eaux de la Garonne et de la Dordogne, puis les livre à l’Atlantique (Parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde).

  • Dynamique naturelle : Les marées, le vent, les crues et les tempêtes déplacent la vase, creusent les berges, déplacent les îles.
  • Pression humaine : Endiguements, dragages, extraction de sable et rectification des cours d’eau accélèrent la perte ou la transformation des milieux.
  • Montée du niveau marin : Les scientifiques estiment une hausse du niveau de la mer de 20 cm en moyenne mondiale depuis 1900 (IPSL/OMM, 2023).

Chiffres et témoignages : la réalité sur la Gironde et ailleurs

Les relevés du service hydrographique national montrent qu’en 50 ans, le niveau moyen de la mer s’est élevé de 11 cm à Royan, tout au nord de l’estuaire (SHOM, 2023). Ce chiffre, apparemment modeste, bouleverse cependant le quotidien de plusieurs villages.

  1. Mortagne-sur-Gironde : Les falaises blanches y reculent de 15 à 30 centimètres par an, lorsque les hivers sont pluvieux et venteux. Des parcelles de vignes et plusieurs anciens sentiers de pêcheurs ont disparu ou menacent de s’écrouler.
  2. Virelade (rive gauche) : L’hiver 2019-2020, la Dordogne a envahi les vasières, submergeant jardins et caves de riverains à six reprises en deux mois. Plusieurs dizaines d’habitants ont dû être relogés temporairement.
  3. Ailleurs en France : Selon le Cerema, près de 30% du littoral français est concerné par l’érosion côtière.

L’érosion, une force discrète mais tenace

Elle ne frappe pas d’un coup sec, mais ronge. L’érosion résulte de chocs répétés : le passage inlassable des marées, les tempêtes hivernales, le ruissellement des pluies, l’action des racines arrachées par des arbres qui tombent une fois la berge fragilisée.

Effets visibles :

  • Effondrement des berges : En Gironde, certaines zones perdent 1 à 2 mètres de rive chaque année après des tempêtes comme celle de 1999 (Xynthia, 2010, fut également marquante).
  • Cabanes et carrelets emportés : À Saint-Seurin-d’Uzet, 7 carrelets historiques ont été détruits entre 2015 et 2020, faute de pouvoir déplacer leurs pieux enfoncés dans des berges trop fragiles.
  • Chemins et routes coupées : Le sentier pédestre entre Vitrezay et Lamena, autrefois tracé sur la digue, a été effacé par la Gironde.

Une terre qui se “liquéfie” :

Sur certains secteurs, comme l’île Nouvelle, la perte de végétation, le dragage et la salinisation accélèrent l’infiltration de l’eau, transformant la terre ferme en marais mouvant, difficilement reconquérable.

La montée du niveau marin : un phénomène silencieux mais inexorable

Si l’érosion creuse, la montée du niveau marin submerge. Selon le GIEC (2021), le niveau des mers pourrait encore s’élever de 28 à 55 cm d’ici 2100, même dans le scénario d’émissions modérées (IPCC 6th Assessment Report).

Quelles conséquences près de l’estuaire ?

  • Expansion des zones inondables : Selon le Plan de prévention des risques d’inondation Gironde, plus de 20 000 hectares en bordure de Gironde sont considérés à risque de submersion temporaire d’ici 2050.
  • Salinisation et recul des cultures : Les invasions d’eau salée menacent la culture de la vigne, qui devient moins productive à mesure que le sel s’infiltre dans les sols. En Charente-Maritime, 300 hectares de vigne ont été abandonnés depuis 2000 pour cette raison (source : Chambre d’agriculture 2022).
  • Déplacement de populations : La DREAL Nouvelle-Aquitaine a recensé en 2021 plus de 250 maisons jugées "menacées à moyen terme" sur zone estuarienne.

Cartographie : où l’estuaire est-il le plus vulnérable ?

Certaines zones sont particulièrement sous pression :

Localisation Risque principal Chiffre clé
Talmont-sur-Gironde Effondrement des falaises et submersion temporaire Env. 40 cm de recul/an sur certains points (source Cerema 2022)
Île Nouvelle Disparition des digues, salinisation Près de 80% de la superficie touchée par l'inondation en 2018
Marais de la Seudre Inondations répétées des exploitations Plus de 70 hectares de marais inondés chaque hiver depuis 2015

Faune, flore et mémoire menacées

L’érosion des berges et la montée des eaux emportent plus que de la terre. Elles bousculent aussi les écosystèmes nichés là, entre brume et lais.

  • Oiseaux migrateurs : Sur l’île de Patiras, le nombre de nids de sternes caugek a chuté de moitié entre 2010 et 2022, via perte d’habitat lors des fortes marées (LPO).
  • Disparition de prairies salées : Ces milieux rares, précieux pour orchidées, insectes, oiseaux, reculent chaque année au profit de vasières crues et de plans d’eau salés où peu d’espèces survivent.
  • Vestiges et souvenirs engloutis : Plusieurs petites 'cabanes de mémoire', abris de vignerons ou cabanes à ostréiculture, sont aujourd’hui inaccessibles, parfois recueillies par la vase ou l’eau, comme sur le chenal de la Maréchale.

Quels gestes face à la menace ?

Face à cette fragilité, les solutions traditionnelles — enrochements, digues, murs de soutènement — montrent leur limite. Elles déplacent parfois le problème et coûtent cher.

Des réponses en mouvement :

  • Restaurer la “mobilité naturelle” : Laisser certains espaces évoluer sans intervention, accepter le recul de la berge pour préserver plus loin les milieux et villages.
  • Renforcer la biodiversité : Planter des hélophytes, des saules, restaurer les prairies humides pour fixer le sol naturellement et créer des zones tampons.
  • Changer d’usages sur les territoires menacés : Transformation des marais en zones de conservation, réduction du bâti sur les zones basses (Projet “Relocalisation douce” de Carrelet 2025, Gironde).
  • Veiller et anticiper : Les réseaux de bénévoles (LPO, SEPANSO, Observatoire de la côte Aquitaine) suivent inlassablement le déplacement de certaines îles et l’état des berges. Sans données précises, impossible de prévoir ni d’agir.

Petites résistances du quotidien :

Des gestes individuels ont aussi un écho : limiter le piétinement des berges, signaler l’apparition de fissures, soutenir les producteurs locaux qui s’adaptent, s’informer, transmettre.

L’estuaire de demain : composer avec les eaux

Les paysages de l’estuaire sont faits pour changer, pourtant la cadence s’accélère. Face à l’inattendu et l’irréversible, se dessinent de nouvelles manières d’habiter la rive, de raconter le territoire autrement. Certains choisissent d’y voir une invitation : à marcher plus haut, à écouter la mémoire des lieux, à inventer d’autres formes de partage et d’accueil. Les rives bougent et, avec elles, nos repères. Pour s’y attacher, il faut apprendre à lire les signes du vivant et du temps — et, peut-être aussi, à rêver autrement aux rivières et aux îles de demain.

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