Des paysages sculptés par le sel
La remontée saline transforme l’estuaire jusque dans sa géographie. Là où l’eau douce cède le pas, les sols se salinisent, modifiant la flore. Sur les vasières et dans les marais, seules seules les plantes halophiles – salicornes, obiones, puccinellies – prospèrent, témoins vivaces de l’influence marine.
Le sel mord aussi les berges, accélère parfois l’érosion, façonne les veines de la pierre et la couleur des ouvrages portuaires. À marée montante, l’eau claire parfois trouble se charge de minéraux, révélant ce dialogue sans cesse recommencé entre la terre et l’océan.
Un défi pour l’eau potable et l’agriculture
La remontée saline a des conséquences très concrètes sur l’approvisionnement en eau potable. L’eau du fleuve est prélevée en amont de la zone d’influence saline pour éviter tout risque de contamination. En périodes de sécheresse, la limite amont de la salinité (là où elle dépasse 1 g/l) peut menacer les prises d’eau pour la métropole bordelaise (Le Monde, 2022).
- En août 2022, la station de mesure d’Ambès détectait des niveaux anormalement hauts de salinité, repoussant la zone de sécurité des prises d’eau en direction de Bordeaux, suscitant vigilance et parfois inquiétude auprès des gestionnaires.
- Des épisodes de salinisation transitoire des terres agricoles sont observés dans les marais du nord de la Gironde lors de périodes de grandes marées associées à de faibles débits, affectant certains systèmes de cultures (notamment le maraîchage).
Certains ostréiculteurs et pêcheurs profitent au contraire de cette oscillation : la salinité modulée offre un habitat unique à une faune variée (lamproies, aloses, mulets, crevettes…).
Le sel, moteur ou frein pour la biodiversité ?
L’estuaire de la Gironde est classé zone Natura 2000 pour ses milieux naturels remarquables et sa biodiversité singulière. Le front salé définit un gradient écologique où se croisent espèces d’eaux douces (brochets, silures, lamproies), migrateurs amphihalins (anguilles, saumons atlantiques), et espèces strictement marines.
- L’alose feinte, par exemple, choisit son site de ponte selon le recul ou l’avancée du front salé (source : INRAE, Migrateurs Gironde-Garonne-Dordogne).
- Les migrations saisonnières de poissons dépendent fortement de la dynamique salée du fleuve : les faibles débits printaniers lors de crises climatiques sont l’une des causes suspectées du déclin du saumon atlantique à la remontée (Saumon Sauvage / MIGRADOUR).
- Certains oiseaux nicheurs des zones intertidales (avocette élégante, tadorne de Belon) profitent des milieux saumâtres pour se nourrir, tandis que les colonies d’hirondelles ou martinets préfèrent les îles ni trop douces ni trop salées pour creuser leurs nids.
Cette mosaïque mouvante impose leur règle : trop de sel, et certaines espèces déclinent ; pas assez, et d’autres disparaissent.