Oiseaux migrateurs de l’estuaire de la Gironde : itinéraires et secrets d’un carrefour naturel

22/06/2025

Un couloir aérien au fil des eaux

L’estuaire de la Gironde, ce vaste mélange d’eau douce et salée, s’étend sur plus de 70 km, de Bordeaux jusqu’à l’Atlantique. Il s’agit du plus grand estuaire d’Europe occidentale, dont la richesse écologique est exceptionnelle. Entre marais, îles, vasières et roselières, chaque saison ramène son lot d’ailes, de cris et de battements. Ici, la migration des oiseaux n’est pas un simple passage : c’est un spectacle permanent, où chaque année plus de 180 espèces migratrices sont recensées par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO).

Ce corridor migratoire, reconnu internationalement (zone Natura 2000), relie les terres glacées du nord aux rives réchauffées de l’Afrique. Certains volent sans halte depuis la toundra scandinave, d’autres longent la côte à petites enjambées, profitant des îles de l’estuaire comme de paisibles haltes-repas.

Qui sont ces migrants ? Portraits d’espèces emblématiques

1. La sterne caugek et la sterne pierregarin : joyaux aériens du printemps

  • Sterne caugek (Thalasseus sandvicensis): Dès fin mars, cette élégante silhouette blanche râclant la surface de l’eau annonce le renouveau. Elle niche en colonies sur l’Île Nouvelle ou l’Île de Patiras. On peut observer parfois plus de 1 000 couples lors des pics d’installation. La sterne caugek repart vers le sud, jusqu’en Afrique de l’Ouest, dès la fin de l’été. (Observatoire de la nature du Parc de l'Estuaire)
  • Sterne pierregarin (Sterna hirundo): À peine la sterne caugek repartie, place à sa cousine. Plus tardive, plus discrète, elle partage les mêmes piquets de pêche et bancs sableux. Elle, aussi, descend en Afrique australe pour l’hiver. Quelques rares couples persistent encore à nicher sur les vasières girondines.

2. Le balbuzard pêcheur : le seigneur migrateur au bec crochu

Oiseau immense, silhouette d’aigle, œil perçant : chaque printemps et chaque automne, le balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) s’attarde sur l’estuaire. Il ne niche pas toujours ici, mais il y trouve le repos ou la nourriture lors de sa longue migration entre la Scandinavie ou l’Allemagne et l’Afrique subsaharienne. Repère d’autant plus précieux que leur espèce reste rare en France : moins de 90 couples nicheurs recensés dans le pays en 2023 (d’après LPO France).

3. Le vanneau huppé : l’acrobate des prairies inondables

Les grands vols de vanneaux huppés (Vanellus vanellus) annoncent l’automne. Vagabonds bruyants sur les prés de Braud-et-Saint-Louis ou dans les marais de Cousseau, ces échassiers rassemblent parfois des troupes de plusieurs milliers d’individus. Leur présence est un thermomètre saisonnier : en janvier-février, certains hivernent encore, avant de remonter vers la Pologne ou la Russie.

4. La barge à queue noire : long-courrier des vasières

Dans la lumière basse de septembre, les barges (Limosa limosa) sondent les bancs de vase. Cette espèce, en fort déclin sur l’ensemble de l’Europe (baisse de plus de 40% en 30 ans selon Oiseaux Nature), trouve dans l’estuaire un ultime refuge. La barge à queue noire peut parcourir jusqu’à 3 000 km d’une traite entre la Hollande et le Sénégal : une prouesse dont peu d’espèces sont capables.

5. Les hirondelles : messagères du retour des beaux jours

À la fin mars, les premiers groupes d’hirondelles rustiques et de rivage (Delichon urbicum, Riparia riparia) survolent vignerons, carrelets et chenaux. Elles font halte, parfois pour quelques jours, le temps de reprendre des forces avant la traversée du golfe de Gascogne. Certaines colonies construisent même leurs nids dans les vieux quais de Pauillac ou les carrelets de Mortagne-sur-Gironde.

Le calendrier des migrations : rencontres en toutes saisons

Mois Espèces visibles Phases migratoires
Février-mars Oies cendrées, grues cendrées, premiers balbuzards, avocettes Fin de l'hivernage, prémices de la migration vers le Nord
Avril-juin Sternes, hirondelles, guêpiers d’Europe, martins-pêcheurs Arrivées printanières et installation pour la nidification
Juillet-octobre Barges, chevaliers gambettes, limicoles, vanneaux, cigognes blanches Départs vers le sud, haltes d’étape, rassemblements pré-migratoires
Novembre-janvier Tadornes de belon, canards siffleurs, mouettes pygmées, courlis cendrés Hivernage de nombreuses espèces venues du nord de l’Europe

L’estuaire, oasis ou piège migratoire ?

L’abondance en insectes, poissons et petits crustacés fait de l’estuaire une étape vitale pour bien des espèces en pleine migration. Mais ce sanctuaire montre aussi ses fragilités :

  • Érosion des habitats : L’artificialisation des berges, le recul des marais doux, la disparition du bocage réduisent les sites de repos. À la pointe du Médoc, près de 25% des friches ont disparu en vingt ans (Office français de la biodiversité, 2022).
  • Pollution : Les traces de résidus agricoles ou métaux lourds affectent surtout les limicoles (oiseaux de vase), dont l’alimentation filtre directement la boue.
  • Dérangement : Malgré l’étendue du site, la pression touristique et la navigation accrue, notamment en été, peuvent précipiter le départ prématuré de certains groupes, affaiblis d’autant pour la suite du voyage.

La bonne nouvelle, c’est que l’estuaire de la Gironde est aujourd’hui labellisé zone humide d’intérêt international Ramsar, ce qui protège ses points névralgiques pour la migration. Plusieurs réserves comme l’île Nouvelle, l’estuaire de la Dordogne ou le marais de Susac accueillent des suivis scientifiques annuels (opérations « Wetlands International », « Suivi Temporel des Oiseaux Communs », LPO).

Où observer les oiseaux migrateurs dans l’estuaire ?

Pour s’immerger dans l’effervescence de la migration :

  • L’Île Nouvelle : accès uniquement accompagné, réserve LPO, point d’observation exceptionnel dès avril (limicoles, sternes, balbuzards en halte).
  • Le phare de Richard (Jau-Dignac-et-Loirac) : vue dégagée sur vasières, en période de migration d’automne (vanneaux, barges, nombreux canards de passage).
  • Marais de la Seudre et du Conseiller : au nord de l’estuaire, parcours pédagogique, bon spot pour cigognes, busards, et grands rassemblements de courlis.
  • Carrelet du port de Vitrezay : plateforme ornithologique, idéale pour guetter les passages matinaux d’hirondelles et fauvettes, notamment début mai.
  • Cabanes d’observation du Parc de l’Estuaire (Saint-Georges-de-Didonne) : animations, jumelles, ateliers pour tous les âges, et guides naturalistes sur place à l’automne.

Les meilleurs moments ? À marée descendante, tôt le matin ou en toute fin de journée, quand la lumière caresse l’eau et que les oiseaux s’activent au ras des vasières.

Anecdotes et records : petits miracles du passage

  • En 1997, un flamant rose bagué en Camargue a été observé une nuit de septembre sur la rive médocaine, fait rare sur cet estuaire, probablement dérouté par une tempête (source : LPO Gironde).
  • Les grues cendrées (Grus grus) offrent des passages spectaculaires : jusqu’à 20 000 individus survolent l’estuaire en une seule journée d’octobre (comptage 2022, LPO/Ligue pour la Protection des Oiseaux).
  • La présence de guêpiers d’Europe (Merops apiaster), avec leurs couleurs de pierres précieuses et leur cri roulé, marque de plus en plus l’amont de l’estuaire, effet probable du changement climatique et du réchauffement.
  • Le courlis cendré, géant des vasières au long bec recourbé, parcourt des distances incroyables : marqué par GPS dans l’estuaire, un individu a été repéré moins de dix jours plus tard au Maroc, à près de 2 000 km de là (projet MIGRATLAN, ONCFS/LPO).

Questions fréquentes des curieux de l’estuaire

  • Puis-je observer les migrations toute l’année ? Oui, mais les plus gros mouvements ont lieu en mars-avril (vers le nord) et en août-novembre (vers le sud).
  • Quel matériel prévoir ? Jumelles, carnet de notes, vêtements adaptés au vent, et respect de la tranquillité des oiseaux sont essentiels.
  • Y a-t-il des sorties guidées ? Plusieurs associations, dont la LPO, proposent des balades d’observation (calendrier sur leurs sites). L’accès à certaines îles se fait exclusivement en groupe accompagné.
  • Que faire pour aider les migrateurs ? Éviter de pénétrer dans les zones de quiétude et soutenir les actions locales de préservation : chantiers nature, suivis naturalistes, soutiens financiers aux réserves.

Marcher au rythme de la migration

Passer une matinée sur la digue de Saint-Seurin, longer la rive au lever du jour, ou attendre patiemment le vol des avocettes à marée montante : l’estuaire offre à chacun la possibilité d’entrer dans ce grand mouvement du vivant. Les oiseaux migrateurs rappellent que nos paysages ne sont jamais figés : ils sont traversés, habités, racontés par d’innombrables voyageurs. Ici, chaque passage est une histoire à écouter, un fragment du monde posé sur la lumière de la Gironde.

Sources principales : Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO Nouvelle-Aquitaine), Office français de la biodiversité, Observatoire de la nature du Parc de l'Estuaire, données Ramsar, Atlas des oiseaux nicheurs de France, Wetlands International, ONCFS.

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